Yoko

Hier, je n'étais personne.
Dans mon quartier, je n'étais qu'une petite femelle parmi tant d'autres. Les mâles se battaient, et les humains me maltraitaient. Je n'ai toujours connu que la faim et la peur. Je n’ai jamais compris pourquoi on me chassait. On me traitait de nuisance, de parasite. Mais j’avais faim. J’avais froid. Je voulais juste un coin où dormir en paix.
J’ai disparu plusieurs fois. Pour fuir, me cacher, pour attendre que l’orage passe. Mais l’orage ne passe jamais quand on survit dehors. J’étais épuisée, et mon ventre commençait à s’arrondir. Je sentais ces petites vies grandir en moi alors que la mienne s’étiolait. J’allais disparaître, comme tant d’autres avant moi, dans l'indifférence.
Et puis, un jour, des bras m’ont soulevée avec douceur. On ne m’a pas chassée. On ne m’a pas frappée. On m’a tenue contre un cœur qui battait fort, et j’ai compris que quelque chose était différent. On m'a emmenée dans un endroit confortable, où j'ai découvert la douceur d'un coussin, la chaleur d'un foyer. La joie d'être aimée.
Aujourd'hui, je suis Yoko.

J’ai eu peur au début. L’instinct me criait de me méfier. Mais la faim ne me tordait plus le ventre. Et les mains… elles ne faisaient pas mal. Elles caressaient. Alors j’ai fermé les yeux pour la première fois sans avoir peur de ne jamais me réveiller.
Ils ont découvert que j'étais malade, mais ils n'ont pas abandonné. Ils m'ont prodigué des soins, m'ont donné de l'amour. J'ai découvert les câlins, les bisous, la joie de jouer. J'ai appris à faire confiance, à me détendre, à vivre. Pour mes petits à naître, j'ai voulu me battre.
Puis, ils ont dû prendre une décision difficile. Une décision pour ma survie. Mon corps était trop faible, mon avenir trop incertain. Alors j’ai dû dire adieu à mes petits avant même de pouvoir les connaître. Avant même de pouvoir les aimer comme une mère.
Je les avais portés, sentis grandir en moi. Je les avais imaginés blottis contre moi, à chercher ma chaleur, mon odeur. Mais je n’étais pas assez forte pour eux. Là où ils sont, ils ne connaîtront ni la peur, ni la faim, ni le froid. Je veux croire qu’ils sont en paix.
Alors, pour eux, j’ai relevé la tête. J’ai puisé dans la force qu’ils m’avaient donnée. J’ai accepté les soins, l’amour qu’on me donnait. J’ai lutté contre la maladie. J’ai choisi de vivre, enfin.
J'ai trouvé ce que je n’avais jamais eu : une famille. Une vraie. Une qui ne m’abandonnera plus jamais. Une maison aimante, où je pourrais oublier mon passé, et me laisser aller au bonheur.
Demain, je serai heureuse.
